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Langues en contact

Dans les dix familles que nous avons filmées, la LSF est utilisée à des degrés variables. Parfois, c’est la langue de communication privilégiée entre parents et enfants, ou entre frères et sœurs. La vidéo ci-dessous illustre des cas où seule la LSF est utilisée, entre des parents sourds et leurs enfants sourds, mais aussi entre un père entendant et son fils entendant. Il n’y a donc pas de lien direct entre la langue utilisée et le ‘statut auditif’ !



Il arrive que la LSF et le français alternent successivement, comme deux langues vocales alterneraient dans une famille parlant le français et l’anglais. Mais parfois, la LSF (ses signes mais aussi ses expressions faciales ou ses postures) et le français sont utilisés simultanément. Là encore, ces situations d’alternance ou d’usage simultané des deux langues sont relativement indépendantes du statut auditif des membres de la famille.



Le fait d’utiliser pour le français les articulateurs de la bouche (les lèvres, la langue, le palais) et pour la LSF les articulateurs manuels et non manuels (le buste, la tête, le regard) permettent ainsi de combiner les deux langues en simultané comme au moment où la maman fait le signe AIMER en même temps qu’elle dit « tu aimes ». Par ailleurs, certaines productions comme la négation de la main ou du doigt font à la fois partie du système de la LSF et de la gestualité co-verbale des locuteurs du français : il peut être bien difficile (et vain ?) de distinguer ce qui relève du signe de ce qui relève du geste ! TU_AIMES


Ainsi, les langues sont loin d’être hermétiques les unes aux autres et les systèmes peuvent parfois se ‘mélanger’. Mais quand on dit ‘mélange’, on pense parfois que c’est n’importe comment, au hasard, voire en bazar. Pourtant, si on regarde d’un peu plus près, on se rend compte que les contacts entre les langues et leurs combinaisons ont des caractéristiques communes, quelles que soient les langues, et que tout petit, l’enfant met en place un système dans ces combinaisons. Le caractère régulier, systématique, est un argument important pour considérer ces formes issues de la circulation interlinguistique.

PETITS-POIS Quand on utilise deux langues, cela peut être de manière redondante, ce qui veut dire qu’on dit la même chose dans les deux langues. Par exemple quand la mère de Romy et Suzon dit « petits pois » et fait le signe PETITS-POIS.


Mais parfois, les informations produites dans les deux langues se complètent, comme lorsque le père de Léon dit « Cherche ! Y en a un grand, un grand ! » et fait le signe RENNE en même temps. En tous cas, il est très rare qu’on assiste en simultané à la réalisation complète d’un énoncé en français en même tant qu’un énoncé en LSF. Notre cerveau a beau être très performant et ‘plastique’ (surtout quand on est jeune), il ne permet pas de traiter en simultané deux systèmes linguistiques indépendants. RENNE


Dans les outils de communication utilisés dans l’éducation des enfants sourds figure ce qu’on appelle la communication totale, ou l’utilisation d’une forme de français signé. Ce qui inquiète les spécialistes du bilinguisme, c’est que l’on confonde l’ajout de quelques signes ou le codage manuel du vocal avec le recours naturel aux deux langues. Les professionnels insistent ainsi pour qu’en milieu scolaire, les temps d’enseignement de chacune des langues soient clairement identifiés par l’enfant et effectués sur des temps séparés. En effet, on n’imagine pas un cours de français-anglais ! En revanche, à la maison, dans les contextes bilingues, l’alternance entre deux codes est très souvent observée. Ainsi, un petit enfant de père kurde, de mère hongroise et vivant en France peut sans difficulté, en présence de ses parents et de sa sœur, glisser d’une langue à l’autre, même juste pour le temps d’un terme, si par exemple sa sœur ne connaît ‘licorne’ qu’en français parce qu’elle l’a appris à l’école. Ce glissement peut également s’effectuer entre le français et la LSF, que l’on soit sourd ou entendant et quel que soit notre degré d’usage de la LSF au quotidien.